Quelle place pour le ‘je’ et le ‘nous’ dans l’entreprise d’aujourd’hui ?


Source image : w12.fr

On a longtemps présenté l’entreprise comme étant un lieu d’affrontement, plus ou moins diffus, entre :

D’un côté le Corps Social, caractérisé par ses aspirations : épanouissement, réalisation, considération, évolution hiérarchique, développement personnel, progression des composantes de sa rémunération…

De l‘autre, l’Institution et ses impératifs : pérennité, respect des règles (le fameux règlement intérieur notamment), efficacité, rentabilité, croissance…

La performance étant matérialisée par la surface –plus ou moins grande- issue de l’intersection des 2. Avec un point d’équilibre porté et garanti par les managers, chargés (au sens propre comme au sens figuré d’ailleurs) de réconcilier les contraires ou tout du moins les forces opposées. Ou comment le manager se trouve ainsi positionné au centre du jeu !

Ce qui était bien souvent représenté et schématisé ainsi :

ENTREPRISE SCHEMATISEESource : management d’équipes – T Vilcot/S Carpentier, ESC St Etienne

Un manager d’équipe méritant, me résumait d’ailleurs encore tout récemment son rôle managérial en se référant au « malconfort », terme qui nous renvoie à cette cellule du Moyen Age aux dimensions si spécifiques qu’elles ne permettaient ni de tenir en position debout, ni en position allongée pour celui qui s’y trouvait enfermé. Le prisonnier se trouvait ainsi confronté à une absence de repos, tant moral que physique (voir La Chute d’Albert Camus)

Je pense aujourd’hui qu’il convient de revisiter tout cela, et de reconsidérer ce rapport entre aspirations contraires.

Si elles restent bien d’actualité, elles sont en revanche rejointes par une opposition d’un genre nouveau : celle du ‘je’ et du ‘nous’.

Cette question, avouons-le, aurait semblé bien incongrue et déplacée pour l’ouvrier de l’entreprise Taylorienne ou Fordienne… ou pour tous ceux qui, jusque récemment, ne connaissaient dans leur vie professionnelle qu’une seule entreprise, à laquelle ils pouvaient vouer un culte inconditionnel, dans un rapport de quasi-soumission.

JESource image : Hachette Jeunesse

Parce que ‘je’ le vaut bien…

Le ‘je’ : c’est l’individu dans l’organisation.

Personnalité plus ou moins engagée dans son entreprise, plus ou moins fidèle.

Qui poursuit ses propres objectifs. Selon sa propre stratégie, son propre cadre de référence.

C’est le ‘je’ et ses nombreux profils sur les réseaux sociaux (le ‘je’ de société en quelque sorte). 🙂

Que l’on décrit comme étant de plus en plus dans le court terme voire l’immédiateté. Qui utilise parfois l’entreprise pour ses propres intérêts (carrière, notoriété…). C’est aussi le ‘je’ plus ou moins contributeur, plus ou moins suiveur, tantôt passe-partout et malléable à l’infini, tantôt fermement campé sur ses positions.

Un ‘je’ avec son estime de soi, son égo plus ou moins développé. Le ‘je’ et son rapport à l’éthique. Auto-entrepreneur de lui-même. Avec son aspiration à l’équité, pour ne pas dire à l’égalité de traitement.

DESTINCitation : W Henley

Le ‘je’ qui arbitre aussi en temps réel entre ses priorités personnelles, familiales et professionnelles, et fait ainsi déplacer son centre de gravité selon les âges de la vie.

Le ‘je’ tantôt star à l’individualisme et aux caprices exacerbés, tantôt au contraire serviteur dévoué du collectif qui l’emploie.

JEU COLLECTIF

Source image : magness.fr

Le ‘nous’

Le ‘nous’ : c’est précisément ce collectif, l’équipe, le projet commun.

L’entreprise avec son histoire et son ADN, qui fait que l’on travaille ici et pas ailleurs.

C’est le projet de jeu, les règles de vie commune, en collectivité, qui vont avec. Le sens du « vivre ensemble ».

Ce qu’Olivier Lajous, qui en connaît beaucoup sur l’esprit d’équipe et d’équipage, définit comme « le plus petit dénominateur commun ». Ce fil qui nous unit et nous relie.

EQUIPAGESource image : sports.yahoo.com

Dans les cas les plus extrêmes, ce ‘nous’ peut se révéler à l’usage insipide et sans saveur (un dirigeant succédant à un autre…), envahissant et irrespectueux du ‘je’ (dans le cas où l’entreprise se sert de l’individu).

En y regardant de plus près, et depuis mon poste de DRH, il m’apparaît urgent de réenchanter ce ‘nous’.

Nous le savons bien, le ‘nous’ est le meilleur rempart contre l’égo excessif du ‘je’ : le ‘je’ (jeu) de pouvoir, le ‘je suis le chef‘, le ‘je me protège‘ (ceinture, bretelles, parachute et gilet de sauvetage !!), qui conduit souvent à l’impasse dans la prise de décision.

Mais également parce que l’intelligence collective est bien supérieure à la somme des intelligences prises séparément. Ensemble on est plus forts : 1+1 =3. L’énergie collective rend l’entreprise meilleure, la performance supérieure. Le projet permet de donner de la cohérence et un sens aux actions, de les orienter vers un but compris de tous et partagé.

Vector graphic of idea tree with colorful bulbs as solutions. The illustration can represent concepts like collective human knowledge, intellectual property, group of successful ideas, etc
                       Source image : integralvision.fr

 

Rappelez-vous de cet adage qui n’a finalement pas vieilli, ou si peu : « donnez à un Homme un pourquoi, et il acceptera n’importe quel comment ».

Et pourtant, un grand nombre de sujets clés tels que le recrutement (je coopte), la formation (je pilote mon compte personnel de formation), le management à distance (j’agis en autonomie sur mon périmètre, mon établissement, mon secteur…) poussent vers toujours plus d’individualisation…

Individualisation qui fait pencher vers l’individualisme, le chacun pour soi (ces temps-ci j’oserais « chacun pour sa peau ») qui n’est autre au final qu’un excès de personnalisation… comme un dégât collatéral subi.

Dans le même temps, dans un environnement contraint, les projets et ambitions stratégiques manquent tant de lisibilité que de ce petit ‘plus’ qui créeront le surcroît d’entrain et d’énergie chez vos équipes. L’atteinte d’un budget cible ambitieux, ou la conduite d’un plan d’optimisation des coûts peuvent-ils durablement tenir lieu de ciment au collectif ? La seule posture défensive peut-elle fédérer et rassembler durablement ? Quelle équipe sportive digne de ce nom se contenterait en effet de ne pas encaisser de buts ou d’essais ?

Sans doute enfin parce que les modalités actuelles de matérialisation du ‘nous’ ont quelques heures de vol de trop : les ‘valeurs’, les ‘conventions’, les ‘newsletters’ plus ou moins digitales, les ‘communautés’ plus ou moins virtuelles, les locaux ‘réinventés’, les activités culturelles du comité d’entreprise, les conciergeries, les tenues de travail, le tutoiement (logique, après le ‘je’ et le ‘nous’ de s’intéresser au ‘tu’ et au ‘vous’) 🙂

CONCURRENCESource image : jessicabourdin.fr

De ‘eux’ à ‘nous’

Le ‘nous’ permet de se distinguer utilement du ‘eux’ (la concurrence).

De s’interroger par contraste sur ses forces et ses faiblesses, sur son avantage concurrentiel, sur la pertinence de son positionnement sur son marché.

En un mot de se remettre en question.

A dire vrai un basique de toute stratégie d’entreprise. Le « benchmark pour les nuls » en quelque sorte.

Mais s’il n’y a pas de ‘nous’…

En prenant une précaution de taille : le ‘nous’ n’est pas le ‘on’, anonyme, déresponsabilisant. Celui de « on y travaille », « on vous remonte cela demain », « on fait un point sur le sujet »…

Et puis vous le savez bien, depuis le temps qu’on vous le dit : ‘on’ est un c_n. C’est ainsi…

CONQUETESource image : Parker

‘Notre’ et ‘votre’ feuille de route

Réinventer le nouveau ‘nous’ est un enjeu de taille, et collectif s’il vous plaît.

Sans doute cela permettra-t-il de mettre fin à la crise identitaire de l’entreprise, mais aussi à celle de certains de ses membres.

Recréer du ‘nous’ permettra au ‘je’ de se réaliser autrement.

C’est dire que le ‘je’ en vaut la chandelle 🙂

Cet objectif fondamental doit fédérer les énergies du dirigeant d’aujourd’hui et de demain, de l’ensemble de ses managers, du DRH.

Comme un clin d’œil à cette œuvre majeure de Gauguin qu’il nous appartient sans doute de revisiter puis réhabiliter : « qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ? ».

GAUGUINSource image : picturalissim.com

‘Je’ ‘nous’ souhaite une belle semaine.

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