Conteurs contre compteurs en entreprise…

Petite partie de Scrabble entre amis. Car nous sommes bien sûr ici dans le domaine du jeu et de la fiction.

Avec ce qui va suivre, vous prendrez soin d’ailleurs de ne prendre aucun raccourci hâtif, ni jugement à l’emporte-pièce. Pas plus que vous n’y verrez de lien avec les gens que vous croisez au quotidien.

A ma gauche, le conteur

Raconter c’est essentiel. Incontournable.

Pour dire où l’on va, et surtout pourquoi.

Pour poser le sens, étymologiquement direction ou signification.

Pour se rappeler l’histoire, les échecs et succès d’hier qui peuvent (si si, promis) nous éclairer utilement. Bref savoir s’appuyer sur l’héritage trop vite enterré de nos prédécesseurs.

Pour imaginer, surtout, un avenir commun. Bâtir un projet partagé. Bref, regarder vers l’horizon, mais dans la même direction !

Tout marché, tout secteur, toute entreprise raconte d’ailleurs une histoire. Celle de son époque et de son temps, celle de ses fondateurs…

Raconter, mettre du sens, c’est mieux pour être compris.

Et c’est mieux pour être suivi.

C’est mieux pour rassurer nos équipes, nos clients, nos investisseurs : « nous avons un plan de bataille, nous avons un schéma de jeu, nous avons une destination »…

C’est mieux pour leur donner l’envie (on l’a un peu oubliée celle-là !) de s’engager avec nous. Plutôt que de jouer contre-nous, ou de se comporter comme des passagers clandestins à notre bord, au fil de l’eau (jeu de mots de circonstance).

Le manager d’équipe, le DG, le DRH doivent tous être, à un moment donné, des conteurs.

Avec ce qu’il faut d’attention, de considération, de sensibilité, de reconnaissance pour ceux qui les écoutent avec la plus grande des attentions.

En se préservant toutefois des excès qui les guettent ; l’affabulation, la douce nostalgie en mode « Madeleine de Proust », la propagande éhontée, l’art de se la raconter au lieu de raconter, les grandes heures du cinéma muet… bref…

Mes amis, le bon conteur, celui qui retient votre attention et donc vous retient tout court (utile soit dit en passant au moment où le marché de l’emploi redémarre), se fait ces temps-ci plutôt rare.

Il est pourtant essentiel, en ce qu’il vous fait comprendre combien vous comptez, mais aussi parce qu’à l’image d’une partie de jeu de go, il vous offre toujours une perspective, un mouvement possible, un pas de plus.

A ma droite, le compteur

Ces jours-ci, sans affreux jeu de mots, celui qui compte.

Admettons-le, il est partout ! « Le compte est bon » : on ne voit (plus) que lui.

Acheteur, DAF, trésorier ou comptable, contrôleur de gestion, DG, fonds d’investissement… mais pas que…

Le compteur a le nez rivé sur les cadrans, les jauges, les indicateurs de niveau.

(Notons au passage qu’il oublie parfois de surveiller le niveau de pression, mais je suis sans doute bien mauvaise langue, pardon pour ce moment d’égarement passager …).

Le jeu de go, ce n’est pas son truc. Bien au contraire. Il serait davantage joueur d’échecs, avec soit les noirs soit les blancs, sur un damier bien tranché et l’œil rivé sur la pendule : chaque coup compte, jusqu’au fameux « échec et mat ! ». Ne traînons pas en route !

Attention, compter n’est nullement incompatible avec un haut degré de créativité et d’imagination.

Le compteur ne s’ennuie ainsi jamais ; tableaux de bord, reportings, notes, points d’étape, indicateurs clés et KPI’s se déclinent à l’infini.

Allons y gaiement ; croisez les horizons temporels (journalier, hebdo, mensuel, trimestriel…) en abscisses, avec les espaces en ordonnées (local/régional/pays/Zone/Monde). Vous obtiendrez autant de reportings que vous pouvez en imaginer. Changez les matrices, clusterisez votre approche, mélangez le tout, et hop…. Fini la vraie vie, adieu la vérité des clients et du terrain.  Vous êtes devenu un modélisateur (à ne pas confondre avec un modèle, hein !)…

Ludique, sans doute, mais pour quoi faire ?

Se justifier à l’infini ? Expliquer en réalité l’inexplicable ?

Commenter les rendez-vous manqués à force de cibles en miroirs d’alouette ?

Finir son analyse que déjà de nouveaux chiffres sont à interpréter ?

Disserter sans fin sur la mort programmée du bon sens ? En 3 parties comme il se doit ; thèse/antithèse/foutaises ?

C’est vrai, on peut désormais absolument tout mesurer, tout le temps. Quelqu’un me glisse à l’oreille ; « surtout les égos d’ailleurs ». Le coquin…

Compteurs et conteurs : dans quel ordre ?

Avec ces deux-là, c’est un peu l’histoire de la poule (même si c’est ici un combat de coqs !) et de l’œuf.

Ici le compteur a la main et charge le conteur, souhaitons-lui d’être habile et inspiré, d’habiller la mariée ou de faire oublier l’amertume du breuvage…

De faire jouer l’orchestre alors que le bateau gîte de 10 degrés et s’enfonce inexorablement malgré les rodomontades du constructeur : « puisque je vous dis qu’il est insubmersible »

Là, le conteur fait décliner chaque étape du voyage en chiffres clés, en points de passage mesurables… C’est l’entraîneur sportif et la vérité du classement, pour que le projet de jeu permette au club, riche de son histoire, d’être promu, de se maintenir, ou tout simplement de bien figurer dans le championnat.

Compteurs et conteurs : quel équilibre ?

Lorsque l’équilibre est rompu, l’entreprise ou l’organisation part à volo.

Sans y prendre gare, on a vite fait d’aligner des chiffres qui n’ont ni queue ni tête, avant de couper les crayons en 2 pour ensuite les tailler aux quatre extrémités.

Chaque territoire devenant borné (au sens mesuré), et objectivé. « Moi d’abord, tant pis pour les autres« .

Même si au final, summum de l’hérésie, le collectif est perdant : je tiens par exemple mon budget, au détriment de celui des autres !

Si un indicateur va bien ou se redresse, on n’en parle bien sûr jamais.

Car il y en a forcément un qui, dans le même temps, va moins bien ou se dégrade. En cherchant bien, on trouvera toujours…

Parmi les plus célèbres, le vieux couple chiffre d’affaires/marge…qui rappellent ces bon vieux aimants (pas amants, relisez-bien) dont les pôles se repoussent.

Autre scénario, côté conteurs cette fois : on multiplie les engagements bien-pensants,  les incantations séduisantes mais creuses, sans s’interroger sur leur pertinence économique. Ou, pire, leur faisabilité.

C’est assez.

Conviction toute personnelle, je pense que l’art de diriger, c’est savoir s’entourer de compteurs et de conteurs, les 2, et d’être capable de les mettre en énergie tout en les faisant travailler ensemble.

Interrogeons-nous ; faut-il vraiment demander à l’un de se prendre pour ce qu’il n’est pas, et à l’autre de devenir ce dont il n’a nullement envie ? Au lieu de  miser et capitaliser sur leurs forces respectives ?

Avons-nous tellement envie de croiser un DRH passant ses journées à rédiger des notes de suivi, dans sa tour d’ivoire, reclus loin des femmes et des hommes de l’entreprise, qui en ont oublié jusqu’à son nom ?

Ou de rencontrer ce défenseur dont on attend qu’il figure en fin de saison en tête du classement des buteurs… ?

« Il jura mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus » (Jean de La Fontaine, Le Corbeau et le Renard).

Merci pour votre fidélité.

Avec un clin d’oeil appuyé à Olivier L, résolument conteur, pour ses éclairages et son idée inspirante.

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